« Reaching the Unreached » : comment la cartographie des routes a permis à des enfants en Afrique d’accéder à des vaccins vitaux

Au point A, dans un pays donné, se trouvent un groupe d’enfants dans un village isolé, pratiquement absent des cartes, et donc déconnecté du centre de santé situé au point C, à seulement quelques dizaines de kilomètres, et pourtant capable de leur sauver la vie. Il suffirait d’une ligne, une route, pour relier les points : ces enfants pourraient alors accéder à des vaccins vitaux.
Chaque année, environ 6 millions des 20 millions d’enfants nés en Afrique de l’Ouest et Centrale ne reçoivent pas une seule dose des vaccins essentiels contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP) au cours de leur première année de vie. Ce sont les enfants « zéro dose » selon un cadre adopté par l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), GAVI – l’Alliance du vaccin – et autres partenaires.
Atteindre les populations non desservies
L’initiative « Reach the Unreached », sous la direction d’UNICEF en collaboration avec l’ONG britannique de données humanitaires MapAction, l’association française de cartographie humanitaire CartONG, et le programme WorldPop de l’Université de Southampton, visait à « améliorer les données sur la couverture vaccinale infantile en associant nos efforts continus de renforcement des systèmes administratifs et des enquêtes ménages à des méthodes innovantes fondées sur l’IA et les données émergentes, pour produire des estimations géolocalisées utilisables via des cartes et tableaux de bord exploitables », explique Niccolo Cirone, spécialiste des données au bureau régional d’UNICEF en Afrique de l’Ouest et du Centre (WCARO).
L’objectif était de « renforcer la planification vaccinale dans cinq pays pilotes — le Cameroun, le Tchad, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Mali — en développant l’utilisation des données géospatiales, en améliorant la coordination avec les partenaires nationaux, tout en renforçant les capacités à long terme », ajoute Ant Scott de MapAction.

GIS4Health
Des experts en analyse d’accessibilité feraient normalement appel à une agence nationale de cartographie ou à une base de données routière numérique pour résoudre ce type de problème. Mais dans certains pays où Google Maps est incomplet et où les données des agences de cartographie sont limitées ou inexistantes, le réseau routier doit être cartographié pour relier les points. Or, ces données sont rares, parfois non accessibles, ou simplement absentes.
Les équipes partenaires ont mis en places des formation pour plus de 100 personnes dans les cinq pays : les formations, proposées aux ministères de la santé, aux OSC et autres acteurs, ont couvert des notions générales sur les données et les systèmes d’information géographique (SIG), ainsi que l’application des outils et méthodologies développés dans le cadre du projet.
Réduire l’écart
Les retours des participants ont été positifs, accompagnés de nombreuses recommandations, notamment en raison des différents niveaux de connaissance aux technologies SIG et aux données sanitaires. « Je vais utiliser les compétences et connaissances acquises pour répondre aux besoins du ministère via la Direction de la Statistique et de l’Information Sanitaire », a déclaré une fonctionnaire du Tchad à l’issue d’un atelier en décembre 2024.
Un autre agent du ministère a ajouté : « Ces connaissances vont me permettre d’être plus efficace dans l’estimation des populations de mes zones de compétence, mais surtout dans leur délimitation. Ces acquis me seront très utiles. »
Ces efforts de renforcement de capacités ont finalement mis en évidence le besoin de formations différenciées, permettant aux décideurs politiques comme aux équipes techniques de bénéficier d’un accompagnement adapté.

Le « casse-tête » des données
Obtenir les bonnes données, qu’il s’agisse de modélisation démographique ou de cartographie routière, reste complexe. « Nous avons du faire face à 2 défis majeurs », explique Dr Attila Lazar, du programme WorldPop de l’Université de Southampton, partenaire chargé de la modélisation des données de population : « accéder aux meilleures sources de données démographiques disponibles, et recevoir les informations de géolocalisation associées. »
Les données de population à l’échelle de petites zones sont sensibles, et nécessitent de multiples autorisations, souvent longues à obtenir, ce qui retarde la production des estimations.
Le problème est similaire pour les données routières, souligne Mathieu Anselmino de CartONG : « Il n’existait tout simplement aucune donnée routière pour la zone pilote, c’est pourquoi nous avons mobilisé des bénévoles pour les collecter. »
Des solutions ont apparu lors de mapathons de collecte de données au Tchad, à la fin de l’année 2024, utilisant la plateforme OpenStreetMap (OSM) pour cartographier le réseau routier. Cela a permis une prise de conscience accrue de l’importance de ce travail au sein des agences gouvernementales concernées, comme le montre une story map de CartONG, partagée ci-dessous.
Un kit en ligne a également été créé pour guider durablement les participants dans l’utilisation des outils et des données compilés pendant le programme.
Un impact tangible
« Les équipes terrain au Cameroun ont pu utiliser avec confiance nos estimations de population d’enfants zéro dose, ce qui a permis d’atteindre plus de 70 000 enfants zéro dose et 100 000 enfants sous-vaccinés », conclut Niccolo Cirone de l’UNICEF (WCARO).
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