Mieux identifier les enfants mal nourris dans les camps de réfugiés

En 2020, CartONG a travaillé à l'amélioration des outils de collecte de données sur mobile utilisés dans les Enquêtes Nutritionnelles Standardisées et Élargies menées par le HCR et ses partenaires dans les camps de réfugiés du monde entier. Cet article présente les changements que nous avons mis en œuvre pour le formulaire “enfant”.

En 2020, CartONG a travaillé à l’amélioration des outils de collecte de données sur mobile utilisés dans les Enquêtes Nutritionnelles Standardisées et Élargies (aussi appelées SENS pour Standardized Expanded Nutrition Surveys en anglais) menées par l’UNHCR et ses partenaires dans les camps de réfugiés du monde entier. En particulier, une partie importante du travail de CartONG a consisté à améliorer le formulaire “enfant” existant afin d’arriver à détecter plus facilement les enfants mal nourris et anémiques.

Qu’est-ce que SENS ?

Garantir la bonne nutrition des populations réfugiées est une priorité pour le HCR. Les programmes du HCR s’appuient sur des données de bonne qualité afin d’assurer la mise en œuvre d’interventions efficaces et rapides en vue de l’obtention de résultats satisfaisants. La section Santé Publique du HCR a collaboré avec plusieurs secteurs de l’aide humanitaire en vue d’élaborer des lignes directrices pour la collecte indispensable d’informations nutritionnelles et sanitaires auprès des réfugiés. Il s’agit des lignes directrices Enquêtes Nutritionnelles Standardisées et Élargies (SENS) du HCR, ou plus communément appelées « directives SENS ».

Les directives SENS sont un dispositif d’enquête multisectoriel qui recouvre la démographie, la nutrition, la santé publique, la sécurité alimentaire, l’énergie et le domaine EHA (Eau, Hygiène et Assainissement). Il vise à standardiser la manière dont les enquêtes annuelles sur la nutrition sont menées par les partenaires du HCR en matière de santé et de nutrition afin de fournir des données de haute qualité. Sur la base des informations fournies par le HCR sur son site web.

Des origines de SENS à aujourd’hui

Équipement nécessaire pour mesurer le taux d’hémoglobine (gants, lancettes, machine Hemocue pour mesurer le taux d’hémoglobine et poubelle de collecte sécurisée)

CartONG soutient la collecte de données sur mobile (MDC) dans le cadre de SENS depuis 2010. Depuis les débuts, notre équipe cherche à perfectionner les formulaires développés, à intégrer de nouveaux indicateurs et à calculer certains de ces indicateurs directement à partir des formulaires. En outre, nous avons aussi cherché à rendre le déroulement de l’enquête aussi facile d’utilisation que possible et à faciliter le travail des responsables d’enquête et des enquêteurs en intégrant certaines étapes dans un flux de travail adapté.

En 2020, une nouvelle version de SENS – SENS V3 – comprenant un large panel d’améliorations ne se limitant pas au volet de la collecte des données sur mobile (MDC), a été publiée par le HCR (en savoir plus ici). Sur le volet MDC, de nouvelles fonctions ont été ajoutées en vue d’améliorer la qualité des données. En particulier, le formulaire pour les enfants est maintenant doté d’un meilleur dispositif de détection pour les conditions de malnutrition aiguë modérée et de malnutrition aiguë sévère afin de s’assurer que les enfants sont immédiatement référés.

Des enquêtes SENS assez compliquées à déployer

Une enquête SENS est un défi logistique, en particulier la partie relative à la collecte des mesures anthropométriques des enfants, qui nécessite des enquêteurs formés capables de prendre correctement la taille en position debout et couchée, le MUAC (tour de bras moyen, ou Middle Upper Arm Circumference en anglais) ainsi que le poids. Il est également nécessaire de disposer d’un personnel capable de prélever l’hémoglobine (ce qui nécessite généralement des gants, des tissus stériles, des aiguilles pour piquer les doigts et des petits contenants en verre) ainsi que des machines Hemocue pour contrôler le taux d’hémoglobine dans les gouttes de sang prélevées. Enfin et surtout, il convient de disposer d’enquêteurs capables d’enregistrer correctement les résultats des enquêtes dans un téléphone portable.

Un des aspects essentiels du processus d’enquête est de permettre au chef d’équipe d’obtenir des retours et des résultats le plus rapidement possible afin de pouvoir agir en conséquence, idéalement en temps réel, par exemple en orientant les enfants malades vers le service ou en mesurant à nouveau un enfant dont les résultats seraient anormaux. Actuellement, une formation intensive et du matériel de formation avancé sont indispensables pour équiper toutes les équipes d’enquête nécessaires au déploiement d’une enquête SENS. En moyenne, vous devez prévoir 6 équipes d’enquête différentes, chacune composée de 4 à 6 membres, pour mener une seule enquête SENS à terme.

Un outil important pour identifier les enfants mal nourris ou anémiques

La prise du MUAC

L’un des aspects principaux de l’enquête consiste à repérer les enfants qui pourraient être anémiques ou mal nourris et à les orienter vers le programme de soins adapté. La malnutrition se mesure via deux critères principaux, la cote Z du poids pour la taille (en anglais, on parlera de z-score ou standard score – ici après aussi mentionné sous le terme WHZ pour weight-for-height z-score) ou le MUAC avec présence d’un œdème.

L’enfant est considéré comme souffrant de malnutrition aiguë modérée (MAM) ou de malnutrition aiguë sévère (SAM) en comparant son score WHZ ou MUAC au seuil. Un œdème ou un faible MUAC peut être signalé sur le téléphone portable au cours de l’enquête, en revanche le calcul de la cote Z du poids par rapport à la taille (WHZ) est toujours plus délicat à réaliser.

Pour les besoins de l’enquête, le WHZ est généralement déterminé par l’ENA, un programme informatique qui calcule la cote Z (ou z-score) et qui permet de savoir si un enfant se trouve en dehors de la courbe de croissance habituelle établie pour son âge et son sexe. Cependant, il n’est pas possible d’utiliser l’ENA sur place pendant les enquêtes. Les enquêteurs doivent donc utiliser un tableau de z-score (ou WHZ) en version papier de plusieurs pages publié par l’OMS pour localiser le WHZ approximatif de chaque enfant, ce qui prend du temps et comporte des risques élevés d’erreurs tant systématiques que d’ordre personnel.

Travailler à l’amélioration de la détection des enfants mal nourris et anémiques afin d’augmenter les taux d’enfants référés

Robert Johnson, qui travaille pour l’UNICEF, a été l’un des premiers à mettre en œuvre un algorithme intégré dans les formulaires XLSForm, qui permet à la fois de repérer tout d’abord les cas particuliers et aussi de détecter les enfants qui affichent un z-score problématique. Cependant, l’algorithme ne détectait pas la totalité des enfants atteints de SAM et seulement quelques-uns des enfants atteints de MAM. Après en avoir discuté avec Robert Johnson et avec les équipes du CDC qui avaient piloté et testé les algorithmes, notre équipe a décidé de faire tourner les algorithmes sur un vaste jeu de données réelles et de l’analyser. Heqian Kuang, responsable adjoint à la nutrition et à la sécurité alimentaire au HCR, ainsi que Caroline Wilkinson, nutritionniste en chef, alors en poste au sein du HCR, ont été les instigateurs de cette opération. CartONG, qui n’est pas experte en matière de nutrition ni en ce qui concerne les algorithmes utilisés, a concentré son action sur l’analyse des jeux de données suite à l’utilisation de versions différentes des algorithmes. Pour arriver au but recherché, il a non seulement fallu appliquer des algorithmes différents en fonction du sexe des enfants, mais aussi des algorithmes différents pour la taille en fonction de si les enfants étaient mesurés debout ou couchés.

Grâce au fichier Excel initial compilé par Robert Johnson et aux tests des courbes mathématiques et à l’évaluation des algorithmes par Heqian Kuang, l’équipe de CartONG a pu déterminer le polynôme le plus adapté pour le z-score et améliorer les résultats pour l’écart-type -3 (SAM) mais aussi pour l’écart-type -2 (MAM) qui prend en compte les enfants souffrant de malnutrition modérée. L’Excel modifié a été publié sur Gitlab par Heqian Kuang (en cours de développement).

Une modification performante

Avec cette modification, sur un ensemble de 17.500 enfants, le nombre d’enfants signalés pour malnutrition aiguë sévère (SAM) est passé de 54 à 78 et pour la malnutrition aiguë modérée (MAM) de 2 à 541, tout en maintenant le nombre d’enfants signalés par erreur à uniquement 46. Le nombre d’enfants qui ont été identifiés comme souffrant de MAM ou de SAM après avoir été mesurés par l’ENA était de 647. Sans compter que la précision de l’algorithme est bien meilleure que celle d’un tableau de z-score de l’OMS établi manuellement sur papier. C’est une véritable avancée ! Cela veut dire que les enquêteurs reçoivent désormais une notification pour ces enfants et peuvent indiquer pendant la conduite de l’enquête que les enfants en question sont des cas à référer tout en informant immédiatement les parents de la nécessité de prendre rendez-vous au centre de nutrition. Une fois au centre, les enfants seront à nouveau mesurés et examinés par le personnel de santé et seront inscrits aux programmes d’alimentation adéquats. Dans l’ensemble, un processus qui est donc beaucoup plus simple et efficace pour tous.

Sensibilisation au nouveau dispositif afin de garantir une utilisation adaptée sur le terrain

Suite à la nouvelle version de SENS, le HCR et CartONG ont organisé cet automne une série de webinaires en anglais et en français sur les formulaires SENS V3 afin de sensibiliser les nutritionnistes et de les informer sur le nouveau dispositif et ses possibilités. Les 6 webinaires ont couvert les mises à jour des directives SENS V3 ainsi qu’une présentation des nouveaux outils MDC, et sont consultables ici.

Les formulaires SENS V3 peuvent être téléchargés (ici). Ils sont disponibles au format XLSForm (et leurs équivalents convertis en XML) et sont compatibles avec le Kobo Server et ODK Aggregate. En outre, ils contiennent des instructions sur la manière d’adapter certaines des variables aux choix locaux et précisent quelles variables doivent être conservées pour garantir que les indicateurs nécessaires puissent en être dérivés et quelles variables sont facultatives et pourraient donc être omises si elles ne sont pas requises dans le cadre local.

Un grand merci au CDC, à UNICEF, ainsi qu’à Heqian Kuang et Caroline Wilkinson du HCR pour avoir soutenu cet effort en nous fournissant les informations de contexte, les données et le matériel nécessaires pour mener à bien ce projet.