Le défi de la localisation des ODD : l’expérience de CartONG en RDC
CartONG a conclu en décembre 2018 un projet de construction d’une « collaboration sur les données » en RDC pour améliorer la mesure des ODD autour de la santé grâce au crowd-sourcing et en particulier OpenStreetMap. Mais comme d’habitude en RDC, les choses se sont avérées un peu plus complexes que prévu…. Voici l’histoire de ce projet !
Ce projet financé par le Global Partnership for Sustainable Development Data (GPSDDD, sous l’égide de la Fondation des Nations Unies) a été dirigé par 510/Netherland Red Cross et visait à développer une approche collaborative sur les données dans deux pays, au Malawi (510) sur les données EHA, et en RDC (CartONG) sur les données sanitaires. Nous l’avons mis en œuvre en partenariat avec l’équipe d’OpenStreetMap DRC.
Notre objectif était assez simple : améliorer la mesure, et plus spécifiquement la localisation, de l’ODD 3.8 « Faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance-santé, comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable » et plus précisément son premier indicateur cible concernant la couverture des services de santé essentiels.
Après avoir examiné les rapports actuels sur les ODD disponibles, nous avons relevé une lacune dans la mesure de cet indicateur (manque de données de référence et de méthodologie pour le sonder avec précision). Sur la base du plan de localisation de la province du Tanganyika (le plan national n’étant pas encore disponible), nous nous sommes concentrés sur les 2 indicateurs pour lesquels notre méthodologie participative pourrait être la plus efficace, à savoir le pourcentage de la population couverte par les services de santé de base et avancés (centres sanitaires et hôpitaux).
Notre stratégie pour améliorer la mesure de ces indicateurs était la suivante : tout d’abord, rassembler les données existantes avec tous les acteurs locaux et évaluer leur qualité. Ensuite, l’améliorer sur au moins une zone pilote avec une mission sur le terrain. Et enfin, construire des outils d’analyse pour utiliser les données collectées et traitées pour la mesure des ODD.
Une collaboration pour partager les données sur la santé en RDC
Comme nous l’avons présenté dans un article précédent, le projet a démarré en janvier 2018 avec un atelier de lancement à Kinshasa co-organisé avec la Croix-Rouge de la RDC. L’atelier nous a permis d’évaluer le « paysage » actuel des données sur la santé et nous avons identifié un fort besoin d’améliorer d’abord les données de référence (localisation des sites de santé, ainsi que la délimitation des aires de santé qui sont l’unité de base des enquêtes). Dans les mois qui ont suivi, nous avons mis en œuvre – à Kinshasa et aussi à distance – les actions définies avec les différentes parties prenantes au cours de l’atelier, notamment :
- Accompagner les acteurs locaux dans le partage des données de santé, en relançant et animant le groupe santé du Référentiel Géographique Commun et en communiquant régulièrement avec d’autres acteurs, notamment le groupe de travail de gestion de l’information et bien sûr le Ministère de la Santé Publique, ainsi qu’en animant des ateliers d’introduction OSM avec plusieurs acteurs.
- Un vaste effort de collecte de toutes les données existantes sur les aires de santé et les sites sanitaires en RDC que diverses organisations (ONG, universités, agences des Nations Unies, etc., en coordination avec le projet GRID3) ont collecté au fil des ans : plus de 12 300 sites sanitaires (7 000 géo-localisés) et 5 300 aires sanitaires (sur un total estimé à environ 9 000), répartis de manière inégale dans le pays. Il s’agissait également de définir un référentiel qualité qui nous a ensuite permis d’évaluer la qualité des données collectées (cf. cartes ci-dessous). Les données recueillies et évaluées ont été partagées en version bêta via le RGC et sont actuellement en attente d’approbation officielle, tandis que l’équipe du RGC continue à les mettre à jour.
- Simultanément au processus de curation des données (c’est-à-dire vérification de sa qualité et stockage des données avant utilisation), nous avons construit et mis à jour le modèle de données RGC correspondant aux attributs dans OpenStreetMap (en nous appuyant sur le travail déjà effectué par Healthsites.io), ainsi que finalisé une méthodologie pour délimiter précisément les zones sanitaires avec le personnel de terrain du Ministère de la Santé.
Deux projets pilotes sur le terrain pour recueillir des données et tester nos méthodologies
Suite à ce travail de préparation, nous avons utilisé ce modèle de données dans les 2 missions de terrain menées en partenariat, d’abord avec l’Intercluster en mai, puis avec le Ministère de la Santé en septembre, afin de tester la possibilité d’une collecte de données de qualité tant sur les sites sanitaires que sur les limites des aires sanitaires. Les missions ont été co-implantées avec l’OSM RDC, l’un des objectifs étant de collecter directement les données des sites de santé dans l’OSM. Les projets pilotes sur le terrain ont confirmé plusieurs défis que nous nous attendions à rencontrer :
- La qualité des limites des aires de santé existantes, actuellement utilisées par de nombreux acteurs, est très limitée (quand ces dernières existent), comme le montre la carte ci-dessous (en orange avant/en rouge après avoir redessiné la délimitation en fonction des connaissances locales), également comparée au croquis qui était auparavant la seule carte disponible pour les agents de terrain. Cela affaiblit l’ensemble de la collecte de données sur les indicateurs de santé dans le pays, y compris les ODD, étant donné que le DHIS2 et d’autres systèmes statistiques agrègent des données basées sur une image incorrecte du domaine à travers ces zones sanitaires déformées.
- La méthodologie utilisée pour la délimitation des aires de santé, basée sur les retours directs des infirmiers titulaires locaux, a donné des résultats précis pour un coût et un temps investis réduits.
- Le modèle de données pour les sites de santé s’est également avéré adapté, avec 50 sites de santé recensés et directement ajoutés dans OpenStreetMap et utilisables pour analyse (voir ci-dessous). Une introduction à la méthode de collecte de données mobile utilisée (KoBo Toolbox) a également été présentée aux travailleurs locaux du ministère de la santé.
- Il existe d’importantes lacunes dans la collecte des données, non seulement pour l’information géographique, mais plus généralement pour toutes les données sur la santé recueillies sur le terrain, comme en témoignent les nombreuses piles de formulaires papier non déballés visibles dans de nombreux bureaux locaux.
- Fournir aux équipes locales des outils ou des équipements ne suffit pas si aucun appui à long terme ne leur est apporté, tant en termes d’assistance technique que d’appui financier. Aucune collecte de données de qualité ne peut être attendue des bureaux hors siège tant qu’ils doivent se battre pour obtenir un soutien de base (argent liquide pour un accès périodique à Internet, salaires, équipement de base, etc.
- Le travail de collaboration s’est avéré efficace également sur le terrain, non seulement du fait du succès des missions impliquant de multiples acteurs (CartONG/OSM RDC, CERF, OIM, Ministère de la Santé Publique) mais aussi avec les équipes locales du Ministère de la Santé Publique qui ont démontré un intérêt constant pour l’approche et les livrables.
Construire des outils d’analyse et former les acteurs à les utiliser
Les données recueillies lors de la mission ont ensuite permis de construire plusieurs produits d’analyse dont des cartes papier analysant l’accessibilité des centres de santé pour la population ainsi qu’un prototype de tableau de bord en ligne permettant une analyse dynamique et évolutive basée sur les données OSM grâce à l’OpenRouteService, développé par l’Université de Heidelberg.
Un deuxième atelier (couplé à plusieurs réunions bilatérales puisque de nombreux acteurs n’ont pu se joindre à nous en raison de l’épidémie d’Ebola) a été organisé en juillet, ce qui a permis de présenter les progrès des mois précédents, d’obtenir les commentaires des intervenants sur la première mission et de définir la stratégie pour la finalisation du projet.
Rétrospective générale
Ce projet, mené simultanément dans deux pays très différents, a permis à CartONG et à 510 de tirer les leçons suivantes :
- l’importance des normes claires pour accroître la collaboration et l’inter-opérabilité ;
- la nécessité d’approches participatives dans le développement de technologies et d’outils de données ;
- l’importance d’un large engagement multipartite et d’une convergence dans l’utilisation des plates-formes de soutien ;
- la nécessité de localiser les ODD pour leur donner une pertinence contextuelle et culturelle ;
- l’importance de développer des solutions technologiques qui améliorent la liberté et les capacités des communautés collaboratrices tout en restant accessibles (coût et complexité réduits) ;
- la nécessité de trouver des utilisations opérationnelles des données et des méthodologies partagées pour les parties prenantes, afin d’obtenir leur adhésion au processus de partage des données et d’assurer leur mise à jour durable (cela implique également de trouver des méthodes partagées pour les organisations humanitaires et de développement chaque fois que possible) ;
- l’importance de la qualité des méthodes de collecte et de la collation des données, y compris sur le terrain, afin d’éviter l’effet « à données inexactes, résultats erronés ».
Nous vous encourageons également à lire l’article « Characterizing Data Ecosystems to Support Official Statistics with Open Mapping Data for Reporting on Sustainable Development Goals« publié par Marc Van den Homberg & Iryna Susha (de 510) dans le numéro spécial « Geo-Information and the Sustainable Development Goals (SDGs) » du ISPRS International Journal of Geo-Information, qui développe la démarche scientifique du projet global.
L’effort consenti en 2018 sera désormais poursuivi par la communauté du RGC mais aussi grâce à deux projets ayant des objectifs similaires, GRID3 (mené par le CIESIN) et CP3 (IFRC & Croix-Rouge de la RDC). Nous sommes donc convaincus que notre contribution assortie aidera tous les acteurs à améliorer les services fournis à la population congolaise en lui donnant accès à de meilleures données. Tous nos remerciements à la communauté OSM de RDC et en particulier Claire et Christian pour leur soutien !
CartONG est très intéressant de continuer à travailler à l’amélioration des données de santé en RDC, ainsi que d’explorer le potentiel d’OpenStreetMap et des données ouvertes pour la mesure des ODD – contactez-nous si vous souhaitez collaborer avec nous sur ce sujet !