Cartographie participative pour la santé communautaire à Mayotte
Les habitant·es contribuent à cartographier leurs quartiers
Médecins du Monde France a décidé de faire appel à CartONG en juin 2022 pour l’accompagner à réaliser des ateliers de cartographie participative à Mayotte dans deux quartiers spontanés de l’île, Longoni et Dzoumogné, avec pour objectifs d’améliorer ses connaissances du quartier en particulier sur les points d’eau utilisés et leur accessibilité, son déploiement opérationnel, tout en créant une mobilisation communautaire avec les habitant·es.
À travers une mission de 2 semaines sur le terrain, CartONG a accompagné MdM à concevoir et mettre en œuvre une méthodologie participative adaptée, basée sur des outils cartographiques légers permettant la contribution active des habitant·es à la production d’une information géographique tout en favorisant la création d’un cadre d’expression, d’échange et d’écoute entre les habitant·es et l’ONG.
Différents ateliers à la fois avec les bénévoles de MdM puis avec les habitant·es des quartiers ont été organisés. Quelques exercices ludiques auront permis aux habitant·es de s’initier à la cartographie et définir ensemble la légende de la carte qu’ils·elles voulaient de leur quartier. Une sélection d’outils de collecte de données géographiques adaptés et accessibles, aura ensuite permis aux habitant·es, soutenu·es par MdM et ses bénévoles, préalablement formé·es par notre équipe, de cartographier leur quartier le temps d’une journée.
Les habitant·es ont collecté de nombreuses données sur des thématiques diverses. Tout l’enjeu pour CartONG a ensuite été de transformer ces données en cartes. 6 cartes ont ainsi été produites pour chacun des quartiers : une carte de référence et 5 cartes thématiques portant sur les problématiques liées à l’accès à l’eau potable, la gestion des déchets, l’accès aux secours et enfin les espaces à valoriser et à protéger.
Notre soutien s’est conclu par un atelier de restitution avec les participant·es pour qu’ils·elles puissent commencer à s’approprier les cartes pour mieux appréhender les questions d’aménagement de leur quartier et faire valoir leurs droits à de meilleures conditions de vie.
Cartographier l’informel : impacts et questionnements
Pour ce type de projet, nous recommandons habituellement l’utilisation d’OpenStreetMap (OSM), le Wikipédia des cartes. OSM permet de rendre les données publiques – ouvertes -, mais aussi et surtout il favorise leur réutilisation et mise à jour, garantissant la durabilité du travail cartographique.
Dans le cadre de ce projet, des craintes vis-à-vis de l’ouverture des données cartographiques produites lors des ateliers avaient été émises par les équipes de MdM de même que par les habitant·es. En effet, dans un contexte de lutte contre l’habitat informel extrêmement tendu, la crainte est de participer à la production de support justifiant des actions de destruction des autorités préfectorales ou favorisant des interpellations policières.
Dans la gestion de projets de solidarité il est essentiel pour nous prendre en compte le rapport fragile entre l’importance de produire de la connaissance et ses potentielles répercussions négatives. Pour le projet à Mayotte, nous avons fait le choix de ne pas reverser les données cartographiques que nous avons produites dans OSM, non seulement dans un souci de protection des populations mais aussi d’appropriation du projet par celles-ci.
CartONG s’efforce de questionner le rapport bénéfice/risque de la cartographie et de l’ouverture des données, sans doute la partie plus sensible. Pour cela des échanges avec le partenaire afin de comprendre et s’approprier le contexte de l’intervention sont indispensables ! Enfin, informer et inclure les habitant·es dans l’élaboration du projet de cartographie est une étape clé. En tant que principaux producteurs de données, leur consentement est indispensable au lancement et à la pérennisation du projet.
Un an après, qu’en est-il ?
Cela fait maintenant un an que notre appui aux équipes de MdM s’est terminé. Où en est le projet aujourd’hui ? Les cartes, mais aussi tout le processus participatif qui a permis de les réaliser ont-ils eu un impact sur la suite des interventions de MdM dans ces deux quartiers ? Les habitants se sont-ils appropriés ce nouvel outil ?
MdM nous raconte qu’à partir de chacune de ces cartes, les habitant·es ont imaginé des micro-projets pour améliorer leurs conditions de vie. Un vote a ensuite permis de choisir l’un de ces projets, et un « Copil » – comité de pilotage – d’habitant·es et d’associations de quartier a été formé pour le mettre en place. À Longoni, où la thématique de l’accès à l’eau a été choisie, le projet a abouti à une action de portage d’eau potable en camion entre les Bornes Fontaines Monétiques (BFM) et les quartiers situés dans les hauteurs. Quatre distributions d’eau par semaine permettent d’alimenter 123 foyers. Une réflexion sur la pérennisation de l’accès à l’eau est en cours incluant la Croix-Rouge, Solidarités International et l’ARS. A Dzoumogné, où la thématique du vivre ensemble a été choisie, le projet a abouti au réinvestissement d’un Faré construit par Caritas et inutilisé jusqu’à alors. Trois fois par semaine, des cours d’alphabétisation pour les adultes ont lieu. La Ligue de l’Enseignement s’investit dans le projet et propose des activités culturelles en français. Neuf mois plus tard, les Copil ont pu aboutir à la réalisation concrète des initiatives citoyennes issues de la cartographie participative.
Convaincue de la plus-value de la cartographie participative pour toute action dans un « nouveau » quartier, quel que soit la thématique projet, MdM a souhaité partager son expérience lors du congrès de la Société Française de Santé Publique qui aura lieu à l’automne. L’ONG présentera comment les ateliers de cartographie participative constituent à la fois un indispensable outil opérationnel, mais représentent également un moyen nécessaire et utile pour aller à la rencontre des habitant·es et créer des espaces de parole.
« Notre démarche est d’aller vers les habitant·es pour comprendre leurs problématiques […] nous étions convaincu qu’un projet de ce type pourrait motiver les habitant·es, les mobiliser pour améliorer leurs conditions de vie – c’était aussi l’occasion d’apprendre à mieux se connaître et de créer du lien avec les habitant·es ». – Chargée de Projet Médecins du Monde France Mayotte