Cartographie participative pour la sécurité alimentaire

Suite à notre précédent projet autour des risques de catastrophe, nous espérions depuis plusieurs années pouvoir relancer une collaboration d’envergure avec la communauté OpenStreetMap Madagascar (OSM-MG), que nous accompagnons depuis ses débuts. L’opportunité s’est présentée par un partenariat avec le Secours Islamique France (SIF), dans le cadre de son projet Avotia cofinancé par l’Agence Française de Développement.

Le projet avait 3 objectifs globaux :

  • Garantir la production et le traitement d’une information géographique actualisée et précise grâce à des outils adaptés aux profils et capacités de notre partenaire,
  • Améliorer la compréhension et la prise en compte des besoins des populations et faciliter la collaboration avec les communautés locales grâce à l’utilisation d’outils de cartographie participatifs,
  • Encourager le travail collaboratif des différents acteurs par le partage d’information et la mise en place d’outils durables de gestion de données.

Pour cela, nous avons créé une méthodologie mixte, comprenant à la fois la montée en capacité des équipes du SIF, le renforcement de la communauté OpenStreetMap Madagascar contribuant au projet, la création de données à distance et sur place sur OSM, et des ateliers participatifs avec les communautés locales.

Évaluation des besoins et première mission

Le projet devait initialement se dérouler sur environ 24 mois, mais la pandémie de la Covid-19 l’a profondément perturbé, avec un vrai démarrage possible uniquement à l’automne 2021 lors de la réouverture des frontières malgaches, avec uniquement 6 mois disponibles.

La première étape a été d’échanger – à distance – sur les attentes et capacités du SIF : si leurs équipes travaillaient déjà en mode participatif avec les communautés, ils n’avaient pas de compétences en cartographie et peu de pratique de la gestion de données (enquêtes ménages uniquement).

CartONG a également complété la carte de base de la zone, qui était très incomplète, durant plusieurs événements de cartographie collaborative, ou « mapathons ». Sur ce projet, nous avons eu non moins de 165 contributions réparties sur 31 mapathons. Ce précieux soutien de nos volontaires a permis la cartographie de 37 235 bâtiments et 4 322 km de routes et de chemins sur le HOT Tasking Manager.

Nous avons ensuite organisé une première mission en décembre 2021 avec pour but à la fois d’évaluer les capacités et besoins du SIF, et de faire une première formation. Pour cela :

  • Un membre de la communauté OSM-MG a formé 17 étudiants de l’Université de Toliara de différents niveaux (L3, M1, M2, doctorants) et de différentes formations (70% d’étudiants en géographie et 30% en économie, agronomie et élevage) sur toute la chaîne de la contribution OSM (concepts, contribution sur JOSM, OSMAnd et Fieldpapers, intégration/traitement des données). Malgré les difficultés techniques « habituelles » (matériel, connexion, etc.) les étudiants ont vivement apprécié cette formation leur permettant de valoriser les outils qu’ils possèdent déjà (PC, smartphone) dans le cadre de leurs études mais aussi de leur future carrière.
  • Une employée de CartONG a été déployée à Morombe pour former les équipes du SIF (20 techniciens du projet sécurité alimentaire mais aussi d’autres projets) à la cartographie sur OSM (sur imagerie satellite avec JOSM et sur le terrain avec OSMAnd). La formation a bien fonctionné même si les outils ont pu être longs à installer et prendre en mains pour des techniciens peu habitués à travailler sur ordinateur et/ou ayant un matériel assez ancien. La sortie de mise en pratique sur le terrain a permis de collecter 80 points d’intérêt sur la ville de Morombe.

La mission a également permis de préciser les attentes et ressources du SIF (durant un atelier), et de co-construire la méthodologie des ateliers de cartographie communautaire :

  • L’atelier « le nom des cartes » a permis aux équipes du SIF d’identifier les 3 cartes qui leur sembleraient les plus utiles pour leur travail, en explicitant le besoin, l’usage potentiel, les données nécessaires et les types de rendu souhaités, sur 3 thématiques (sécurité alimentaire, risques et éducation – les 2 dernières ne font pas partie du projet mais pourront être réutilisées par le SIF ultérieurement). Cela a permis au SIF avec l’aide de CartONG de synthétiser le besoin autour de 5 cartes : carte de référence ; carte des ressources en eau ; carte des activités économiques et types de culture ; carte des champs écoles paysans (CEP) soutenus par le SIF ; et carte des marchés.
  • Cet atelier a été complété par un temps de co-construction de la méthodologie : à partir des exemples d’ateliers de cartographie participative et sensible présentés par CartONG, un déroulé et une liste de questions a été établie pour compléter les données requises pour les cartes souhaitées.

Suivi et deuxième mission

Suite à cette mission, nous avons préparé la méthodologie des ateliers, et pour cela avons créé les cartes servant aux ateliers. Dans le même temps, nous avons tenté de faire pratiquer à distance aux étudiants et aux équipes du SIF, même si le temps réduit et le contexte n’ont pas permis d’aller aussi loin qu’espéré.

Nous avons réfléchi à quelle était la meilleure option pour les rendus de carte :

  • Des cartes papiers PDF, éditées sur le logiciel QGIS par les équipes de CartONG, et imprimées en grand format pour être laissées sur place. L’avantage était d’avoir un rendu facilement lisible et utilisable hors connexion dans tous les communes, y compris rurales. L’inconvénient était que ces cartes étaient statiques et que le SIF n’était pas formé au logiciel donc ne pouvait les mettre à jour après le projet.
  • Des cartes dynamiques en ligne simples (créées sur uMap), qui se mettraient à jour à chaque édition du SIF (soit dans la base OSM, soit par l’ajout de points spécifiques). L’avantage était donc la possibilité de mettre à jour, l’inconvénient que cet outil était bien moins lisible (pas imprimable en grand format correctement, nécessité d’un ordinateur/connexion internet pour les consulter).

Suite aux échanges avec le SIF, et au vu de l’importance pour les communautés et les acteurs du territoire d’avoir accès aux données qu’ils auraient contribué à créer, l’option des cartes papier a été retenue.

Après un temps de préparation à Antananarivo, le binôme CartONG/OSM-MG s’est donc déployé à nouveau à Morombe en février/mars de cette année, emmenant avec lui le groupe d’étudiants formés à OSM, pour une mission de collecte sur les 6 communes du projet. Le programme était le suivant :

  1. Formation des équipes du SIF et d’un groupe d’étudiants de Toliara à la co-animation des ateliers de cartographie communautaire (à Morombe)
  2. Co-animation d’un atelier pilote sur une première commune par l’ensemble de l’équipe CartONG/OSM-MG (animateurs), le SIF et les étudiants.
  3. Division de l’équipe SIF et étudiants en deux groupes, chacun devant ensuite co-animer 2 ateliers dans 2 communes, CartONG et OSM MG se répartissant chacun dans un groupe et n’intervenant qu’en rôle de facilitateur.
  4. Animation des autres ateliers communautaires en autonomie par le SIF et les étudiants avec un soutien à distance de CartONG et OSM MG.

Malgré le défi logistique, la collaboration a été très harmonieuse entre les étudiants et les équipes du SIF, s’appuyant sur leur expertise respective technique et de terrain. Les problèmes techniques rencontrés sur le terrain ont pu tous être résolus au fur et à mesure, ce qui confirme qu’une phase de collecte approfondie sur le terrain est nécessaire suite à la formation pour une bonne appropriation – le fonctionnement en 100% distanciel reste bien moins efficace.

Résultats du projet

La collecte de données a permis d’intégrer 516 points à OpenStreetMap sur les 6 communes, un apport quantitatif mais aussi et surtout qualitatif, qui seront utiles à la fois au projet du SIF et à tous les acteurs du territoire, qu’il s’agisse d’organismes de développement, gouvernementaux, mais aussi de touristes ou visiteurs. Cela est nettement visible si on prend l’exemple d’un village couvert de façon exhaustive comme Ambahikily, qui outre une cartographie de base complète (réseau routier et hydrographique, tâche urbaine, bâtiments), comprend également tous les points d’intérêts clefs du territoire (transports, santé, culte, commerces, etc.).

La collecte de données menée à la fois à distance et sur le terrain a permis de compléter de façon très significative la carte de base du territoire, comme en témoignent ces chiffres – ci-contre – comparant les données créées avant juillet 2019 / depuis juillet 2019 (période du projet).

En parallèle, les ateliers communautaires ont permis à la fois de sensibiliser les participants à la cartographie, et de s’appuyer sur la population comme source d’information directe permettant de comprendre les dynamiques territoriales. Les participants ont contribué sur 3 cartes : les types d’activité, les cultures et l’hydrographie, et l’étude des systèmes de dépendance alimentaire. Les cartes complétées ont produit la matière dense et complète reprise dans les livrables, et les participants se sont fortement appropriés la méthodologie, et étaient ravis de voir leur expertise de terrain prise en compte.

19 cartes finales ont été produites après la deuxième mission et regroupaient les informations sur les 6 communes (par type), avec en sus une carte à l’échelle du district et une carte reprenant les éléments de restitution de l’atelier sur la dépendance alimentaire.

Enfin, un atelier de restitution a été organisé à Antanarivo pour une vingtaine de participants (professionnels, responsables d’ONG, étudiants, membres de la communauté OSM locale).

Bilan et apprentissage

En conclusion, malgré un programme fortement perturbé, le projet a rempli l’essentiel de ses objectifs, et permis différents apprentissages intéressants. D’un point de vue technique, l’utilisation d’OpenStreetMap, déjà éprouvée, a encore une fois fait ses preuves, et le couplage avec les ateliers participatifs « sur papier » a permis une couverture relativement exhaustive de la collecte de données, et ce malgré des conditions terrains compliquées. Le fait de travailler exclusivement avec des outils libres et low-tech (aucun serveur ou logiciel dédié au projet) a donc fait ses preuves y compris pour une ONG de plus grande taille. L’objectif initial d’autonomiser le SIF dans l’usage des outils OSM n’a pu être totalement atteint vu le délai raccourci, ce qui pose la question de la pertinence d’une formation aussi complète pour un projet court. Néanmoins les compétences acquises resserviront au-delà du projet, et la répétition de tels projets permettrait d’en assurer la durabilité.

Les partenaires et communautés ont privilégié l’édition de cartes papiers qui sont plus utilisables localement que des solutions de cartographie dynamique (ou en ligne), néanmoins leur édition est nettement plus chronophage. À terme CartONG aimerait développer un outil de cartographie dynamique facilement déployable générant des cartes PDF personnalisables, ce qui prendrait le meilleur des deux solutions – nous sommes en recherche active de financements pour avancer là-dessus.

Le budget, notamment dans un contexte d’imprévisibilité de nombreux coûts, était insuffisant pour aller plus loin sur différentes dimensions (durabilité, transferts de compétences, capitalisation, étude comparative des différentes méthodes, etc.). Malgré les efforts du SIF pour faciliter la logistique et l’implémentation sur place, le projet se solde par des surcoûts importants assumés par CartONG, ce qui n’est pas soutenable à termes.

La coopération avec OpenStreetMap Madagascar a été cruciale pour la réussite du projet, mais différents facteurs (urgence, décalage entre l’écriture du projet et notamment le budget et sa mise en œuvre, évolution de la communauté) n’ont pas permis une implémentation aussi partagée – dans le leadership du projet – et collective que prévu, ce qui a généré des frustrations et des difficultés. Mettre en œuvre un projet de collecte de données sur le terrain ambitieux, former et accompagner un partenaire opérationnel peu acculturé aux enjeux de données, et dans le même temps travailler en partenariat et soutenir le développement de la communauté OSM locale : cumuler tout cela avec les budgets réduits dont nous disposons devient mission quasi-impossible.

En cohérence avec notre stratégie 2022-2024, nous souhaitons concevoir à l’avenir différemment ces projets avec un leadership plus affirmé de la communauté locale et CartONG en support, même si cela pourrait s’avérer contradictoire avec les impératifs urgents et opérationnels de nos partenaires humanitaires. Une réflexion toujours ouverte donc, que nous espérons poursuivre à travers notre stratégie, des échanges avec d’autres organisations confrontés aux mêmes contradictions (notamment au GeOnG 2022) et bien sûr avant tout en écoutant nos partenaires des communautés OSM locales.

Partenaires du projet