La cartographie pour les Evaluations Scientifiques d’Impact

En fin d’année 2018, CartONG a été sélectionnée par l’Agence Française de Développement (AFD) pour participer à l’évaluation scientifique d’impact du Programme de Réhabilitation et d’Intégration des Quartiers d’Habitation mis en oeuvre en Tunisie, dans le but d’ajouter une dimension cartographique à la méthodologie d’évaluation du programme. Cette initiative est une démarche nouvelle pour CartONG.

En fin d’année 2018, CartONG a été sélectionnée par l’Agence Française de Développement (AFD) pour participer à l’évaluation scientifique d’impact (ESI – voir l’encadré ci-dessous pour plus de détails) du Programme de Réhabilitation et d’Intégration des Quartiers d’Habitation (PRIQH2 – voir en bas de cet article pour plus de détails sur ce programme mis en œuvre par l’Etat tunisien de 2019 à 2023), dans le but d’ajouter une dimension cartographique à la méthodologie d’évaluation du programme.

Cette initiative est une démarche nouvelle non seulement pour l’AFD mais aussi pour CartONG qui n’avait jusqu’alors pas eu l’opportunité de participer à une ESI ni à l’évaluation d’un projet de développement urbain.

 

Qu’est-ce qu’une Evaluation Scientifique d’Impact ?

La méthode d’évaluation scientifique d’impact vient des sciences médicales où les effets de la prise d’un médicament sont comparés à un scénario « placebo » ou « témoin ». Appliquée à un projet, la méthode consiste à comparer, avant et après le projet, un groupe ayant bénéficié du projet et un groupe « témoin » n’ayant pas bénéficié d’intervention. L’objectif dès lors est d’identifier des changements mesurables dans les deux groupes, et de déterminer si les changements observés dans le groupe ayant bénéficié du projet,  peuvent être attribués au projet objet de l’évaluation. Il est ainsi possible d’établir s’il y a un lien de cause à effet entre un projet et un ou plusieurs résultats. Cette méthode scientifique finement interprétée permettra de comprendre les axes d’amélioration possibles des programmes futurs tant pour l’AFD que pour l’ARRU.

La composante principale de l’ESI est l’évaluation d’impact économétrique conçue pour quantifier l’impact des interventions sur les résultats socio-économiques au niveau des ménages et des individus.  C’est une équipe composée de chercheurs de l’Université des Nations Unies et du cabinet tunisien BJKA Consulting qui est en charge de cette composante. Ils réaliseront des enquêtes pour déterminer si les individus ont connu ou non des modifications de leurs conditions de vie, de leurs perceptions, leur degré de confiance, leurs aspirations, leur situation professionnelle, etc., après avoir bénéficié du projet.

Dans le cadre de l’ESI du PRIQH2, l’AFD a souhaité ajouter une deuxième composante qui est l’évaluation d’impact spatiale et territoriale du projet au niveau des quartiers ainsi que la valorisation cartographique des résultats de l’évaluation. C’est l’équipe de CartONG qui est en charge de cette composante complémentaire qui devrait permettre d’identifier des évolutions globales qui ne sont pas observables au niveau des répondants individuels.

Découvrez comment une ESI est réalisée à l’AFD en vous rendant sur leur site. Veuillez noter également dans dans le cadre du projet PRIQH2, les « quartiers témoins » servant de référence pendant l’évaluation scientifique d’impact bénéficieront dans un second des mêmes interventions que ceux des « quartiers traités » (voir le reste de l’article pour tous les éléments).

 

Les apports de l’approche cartographique dans l’évaluation d’un projet de réhabilitation urbaine

La participation à cette évaluation est donc un beau défi pour nos équipes, dont la feuille de route consiste à :

  1. Consolider une base de données géographiques et développer des outils cartographiques permettant d’analyser l’impact du programme, mais également
  2. Renforcer les capacités du partenaire local en SIG et favoriser l’appropriation des outils développés dans le cadre de l’ESI afin d’aller au-delà de leur finalité première de suivi et d’évaluation (S&E) et d’en faire également des outils d’aide à la décision et au dialogue institutionnel.

En parallèle, CartONG a décidé de se fixer un défi supplémentaire : celui de mobiliser autant que possible des ressources open source et notamment OpenStreetMap (OSM), et également celui de sensibiliser les différentes parties prenantes aux enjeux et opportunités de l’Open Data et des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). 

Cela fait un peu plus de 6 mois que les échanges avec l’équipe de chercheurs, l’Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine tunisienne (ARRU) et l’AFD ont commencé. Nous avons déjà réalisé 2 missions sur place – en janvier et juin 2019 – qui nous ont permis de réfléchir ensemble au protocole de l’évaluation (voir photos ci-desous), c’est-à-dire notamment aux résultats à mesurer, aux choix des indicateurs pour comparer la situation initiale et finale, à la sélection des quartiers étudiés, etc.

Suite à ces premières réflexions, le travail de CartONG s’articulera autour de 4 axes principaux :

  1. Observer si le PRIQH2 favorise l’étalement urbain et l’apparition de logements informels dans les zones limitrophes des quartiers observés (échantillon de 20 quartiers : 10 quartiers traités – bénéficiaires des interventions du projet – et 10 quartiers témoins).
  2. Observer si l’amélioration des infrastructures de base ainsi que la construction d’équipements sociaux collectifs et de locaux d’activité favorise la consolidation du tissu urbain au sein des quartiers traités et de leur intégration à l’échelle du territoire.  
  3. Analyser les résultats des enquêtes par rapport à la position des ménages dans les quartiers afin d’identifier si les résultats sont homogènes ou s’il existe des disparités au sein des îlots – cette analyse prenant en compte l’ensemble de 20 quartiers.
  4. Analyser les résultats des enquêtes par rapport à la distance des ménages aux différents types d’interventions afin d’observer s’il existe des liens de corrélation entre amélioration des conditions de vie et proximité immédiate des interventions d’amélioration au sein des quartiers traités.

 

Concrètement, comment CartONG intervient dans le cadre de ce projet d’évaluation ?

CartONG apporte son expertise cartographique autour de 2 grands axes d’action détaillés ci-dessous.

1- Consolidation d’une base de données géographique et développement d’outils cartographiques permettant d’analyser l’impact du programme

Après avoir réalisé au premier trimestre 2019 un diagnostic des données disponibles et mobilisables auprès de l’ARRU et de ses partenaires, nous avons commencé à consolider une base de données SIG contenant les données cartographiques et statistiques – malheureusement assez peu nombreuses et difficilement exploitables – pouvant alimenter les indicateurs d’impact.

Nous avons donc décidé de compléter cette base de données SIG grâce à des données vectorisées que nous récupérerons ou créerons directement dans OSM sur la base de l’échantillon des 20 quartiers obsservés (10 quartiers traités et 10 quartiers témoins). A partir d’images satellites, nous pourrons cartographier la voirie, le bâti, l’occupation du sol et la couverture végétale. Dans la mesure du possible, nous tacherons ensuite d’ajouter des points d’intérêt (équipements des quartiers, lampadaires, commerces, etc.) sur le terrain.

Suite à cette étape, nous devrions être en mesure de produire des cartes détaillées de ces 20 quartiers illustrant et caractérisant la situation avant le début des travaux de réhabilitation ; puis dans 5 ans, après l’exécution du programme nous réaliserons une mise à jour des cartes afin de rendre visible les changements apportés. Ces cartes avant/après nous permettront de mesurer les changements, par exemple en termes de densité, de coefficient d’emprise au sol, de surface des vergers et des champs, etc. Le traitement statistique de ces données et le nombre important de possibilités de croisement entre ces variables permettront d’aboutir à une diversité d’analyse.

Cette approche cartographique de l’ESI restant relativement expérimentale, CartONG manque encore du recul nécessaire pour garantir qu’il sera possible d’observer spatialement des évolutions notables à partir de l’imagerie satellite sur un laps de temps de seulement 5 ans. Pour anticiper ces possibles limites de la photo-interprétation d’imagerie et maximiser nos possibilités d’analyse sur la fin du projet, nous comptons encourager l’ARRU à augmenter sa capacité de production et de collecte de données géo-localisées ces prochaines années. Dans la mesure du possible, il sera également question de s’assurer qu’ils fassent remonter le plus d’informations possibles provenant du terrain (telles que la hauteur du bâti, le type d’occupation, la présence de commerces ou encore la localisation des équipements).

2- Renforcement des capacités en SIG du partenaire local et facilitation de l’appropriation des outils développés dans le cadre de l’ESI

La consolidation de l’outil SIG et la définition d’un modèle de données pour l’intégration des informations nécessaires à la construction des indicateurs d’impact a démarré, et se fait en étroite collaboration avec l’ARRU. Notre travail dans le cadre de l’ESI est aussi une opportunité de renforcer les compétences en SIG des équipes de l’ARRU, et d’illustrer le potentiel de cet outil encore sous-utilisé au sein de l’agence.

En ce sens, CartONG va proposer une série de formations au cours des trois prochaines années afin de définir l’objectif stratégique de leur système d’information géographique et les procédures nécessaires à son bon fonctionnement depuis la phase d’identification des quartiers, jusqu’à la phase de valorisation des programmes., en passant par la phase d’étude et de planification et celle de suivi de l’exécution des travaux.

Ce premier projet est donc une opportunité très intéressante pour nous d’explorer l’utilisation de la cartographie pour les études d’impact, mais aussi de travailler dans la durée avec un partenaire local institutionnel, ce qui permettra de nourrir notre expérience de soutien à la montée en capacité dans un secteur différent de celui de nos partenaires habituels humanitaires. Nous espérons que la priorité donnée à la prise en compte des capacités et besoins du partenaire dans le choix des outils et méthodes (outils légers et open source, open data & partage des données, etc.) seront des facteurs de durabilité de l’approche mise en place, et pourront être répliqués ailleurs !

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Quelques éléments de contexte concernant le PRIQH2

Au cours des trois dernières décennies, la Tunisie a connu une forte croissance urbaine, ce qui en fait l’un des pays les plus urbanisé de la région Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ce phénomène d’urbanisation rapide a conduit au développement de nombreux quartiers précaires qui font face à de fortes problématiques urbaines telles que l’absence de services de base et d’équipements, et la multiplication de logements informels, qui se traduit par d’importantes disparités socio-économiques sur le territoire.

Suite à la révolution tunisienne de 2011, l’Etat a décidé d’accentuer son intervention en faveur de ces quartiers afin d’améliorer les conditions de vie des habitants y résidant, de soutenir les leviers d’un développement socio-économique local et de prévenir la formation de nouveaux quartiers informels. Le gouvernement a ainsi lancé un premier Programme de Réhabilitation et d’Intégration des Quartiers d’Habitation (PRIQH) en 2012, bénéficiant à plus de 860 000 habitants dans 155 quartiers précaires répartis sur tout le territoire national. Une deuxième génération du PRIQH a été lancé en 2019, il est financé par le gouvernement tunisien, l’Agence Française de Développement (AFD), l’Union Européenne (UE) et la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et est exécuté par l’Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine (ARRU), un opérateur public sous tutelle du Ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire.

Le PRIQH2 s’articule autour de quatre composantes complémentaires : 1) le développement d’infrastructures de base, 2) l’amélioration de l’habitat, 3) le développement d’équipements socio-collectifs et de locaux d’activités, et 4) des lotissements sociaux à proximité des quartiers réhabilités.

Nous vous encourageons également à vous rendre sur le site de l’AFD pour en apprendre davantage : page du projet & article sur le projet.

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