Crise humanitaire en Ukraine : appui au GIS Centre de MSF

De la mi-avril à la mi-juin 2022, CartONG a déployé, à tour de rôle, deux spécialistes en systèmes d’information géographique (SIG) dans le cadre de l’appui apporté par le GIS Centre aux 5 centres opérationnels (OC) de Médecins Sans Frontières intervenant en Ukraine.

MSF y est en effet présente depuis le début du conflit et dans l’ensemble des pays limitrophes. Le mouvement soutient activement les populations sur place, ainsi que les personnes déplacées et réfugiées à travers plusieurs actions : i) facilitation de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement (installation de générateurs, pompes solaires, etc.) garantissant le maintien des infrastructures de santé, ii) donations de biens de première nécessité (kits bébé, kits COVID, etc.), iii) accompagnement et support psychologique, iv) consultation via cliniques mobiles, et v) divers supports logistiques (tel le transport de patients, notamment par train).

L’ensemble des opérations en cours expriment des besoins importants en termes de données spatiales et de cartographie. Il s’agit en premier lieu de localiser et qualifier ces activités dans le pays, pour les croiser aux différents facteurs de vulnérabilité pouvant représenter un risque pour les équipes impliquées ainsi que les populations (risques chimique, nucléaire, bactériologique, suivi des bombardements et leur intensité, lieux de refuge, etc.). Ces besoins peuvent ainsi être traduits sous forme statique (cartes PDF) ou dynamique (geoapps), et servent à, ou permettent d’orienter la stratégie opérationnelle des équipes de coordination MSF. Ces produits supposent en arrière-plan des besoins importants en termes de gestion de données spatiales. Nettoyage, homogénéisation, transformation, structuration, mises à jour et automatisation de ces processus permettent, entre autres, de maintenir l’ensemble du soutien offert par le SIG aussi efficace et à jour que possible, et ce sur la base des informations disponibles. 

Après une première mission de 5 semaines entre la Pologne et l’Ukraine, menée par un spécialiste SIG et en base de données, un deuxième déploiement de 4 semaines a été réalisé par un spécialiste SIG en cartographie en Ukraine. Voici leurs retours.

1- Quel était l’objectif de la première mission et dans quel contexte s’est-elle déroulée ?

[Spécialiste SIG & en base de données]

Cette première mission fait suite au déploiement d’un GIS Advisor (« référent SIG ») de l’OC de Genève dans les premières semaines du conflit pour poser un diagnostic des besoins en termes de cartographie et de données spatiales exprimés par les équipes MSF déployées sur le terrain. Ce dernier a confirmé la nécessité du déploiement d’une équipe SIG sur place complètement dédiée au soutien des opérations initiées depuis le début du conflit.

Pour y répondre, cette mission supposait d’aller à la rencontre des équipes des différentes sections déployées pour identifier leurs besoins et les formaliser sous la forme la plus appropriée. C’était le rôle donné à mon homologue, un cartographe envoyé pour couvrir, le temps de la mission, la plupart des projets existants dans le pays. Dans la plupart des cas, cela donnait lieu au développement d’applications web en temps réel sur la base des retours fréquents qu’il obtenait au cours de ses visites, que je réalisais depuis la Pologne au niveau de la base transit de la section de Genève.

Nous disposions d’un mandat intersectionnel, qui nous permettait de répondre aux requêtes et demandes de l’ensemble des OC présents sur place. La particularité de cette première mission reposait également sur le fait que nous évoluions dans un contexte d’urgence critique (avec mise en place de protocoles stricts en terme de sécurité), ce qui explique la double localisation entre la Pologne et l’Ukraine et aussi, les durées relativement courtes des déploiements dans ce type de contexte.

2- Quelles ont été les principales avancées amenées par cette mission aux équipes opérationnelles de MSF sur place ?

Arrivée du train médicalisé à Lviv. 1er avril 2022. Ukraine. © MSF Exemple d’actions menées par MSF en Ukraine. Plus d’informations dans cet article.

[Spécialiste SIG & en base de données]


Cette première mission a permis de centraliser et structurer les données spécifiques au contexte de la guerre en Ukraine, afin de les rendre visibles et accessibles aux équipes opérationnelles sous la forme de cartes statiques ou bien dynamiques (géoapps). Ces produits SIG permettant, à leur tour, de faciliter la prise décision sur place des coordinations de MSF dans la mise en œuvre des projets et de leurs activités, et au-delà, d’orienter les stratégies d’action et de déploiement quelle que ce soit la section. Du fait de notre présence sur place, il nous était également possible d’affiner le travail réalisé en fonction de leurs retours pour répondre au mieux à leurs demandes et soutenir leur action.

Nous avons par exemple déployé une application où il est possible de suivre dans le temps – depuis le début de la guerre – la localisation des bombardements partout en Ukraine, de manière plus ou moins approximative en fonction des données disponibles. Ces localisations étaient également croisées – dans une autre application – à des points sensibles pouvant représenter des cibles potentielles, ce qui permet aux équipes de coordination de prendre des décisions informées dans la mise en œuvre de leurs activités. Une autre application avait pour vocation de soutenir l’un des 5 OC de MSF à Dnipro et Zaporijia, dans le sud-est de l’Ukraine, en référençant l’emplacement des centres d’accueil pour les personnes ayant dû fuir leur lieu de vie (ou selon l’appellation officielle les “personnes déplacées internes”) et des infrastructures de santé afin d’orienter les déplacements des équipes médicales mobiles et d’accompagner les personnes qui le nécessitent vers des centres de soins proches.

Au final, nous avons réalisé 5 cartes statiques sur ArcGIS Pro et 4 applications en ligne sur Portal en l’espace de 5 semaines, tout en développant en parallèle des workflows robustes en matière de gestion et de traitement de la donnée.


3- Comment la première mission a-t-elle informé le déroulé et les objectifs du deuxième déploiement ? Celui-ci était-il différent du premier, et si oui, comment ?

[Spécialiste SIG en cartographie]

La seconde mission, qui s’est déroulée de la mi-mai à la mi-juin, s’inscrit réellement dans la continuité du premier déploiement, à la différence près que seul le spécialiste en cartographie a été remplacé, par moi-même (déploiement en Ukraine), alors que le spécialiste en gestion des données est retourné en France pour appuyer les OC à distance.

Pour le reste, il s’agissait de continuer à maintenir les outils déjà mis en place, d’en développer de nouveaux en fonction des besoins continuellement exprimés par les équipes terrain et de les former à leur utilisation (par exemple en leur apprenant à structurer un fichier Excel correctement, afin de pouvoir le maintenir jour et ainsi alimenter une application en ligne au fur et mesure de l’ajout de nouvelles données grâce au support siège via un outil ETL).

J’ai également continué l’important travail de communication auprès des équipes projet, pour s’assurer qu’elles soient tenues informées des outils SIG mis à leur disposition. Bien que l’ensemble des produits développés soient centralisés sur la plateforme GeoMSF, qui est accessible par le siège et sur le terrain, il était néanmoins nécessaire de communiquer activement en personne, via email, etc. C’est un élément fondamental, notamment lorsqu’on prend en compte le turn-over important des équipes dans les contextes d’urgence.

4- Quelles sont les principales réalisations de cette deuxième mission ?

[Spécialiste SIG en cartographie]

En plus de ce que j’ai évoqué précédemment, il faut également souligner le travail de documentation qui a été réalisé, et un soutien au recrutement d’un spécialiste SIG national – qui avait été recommandé à l’issue de la première mission – dans un souci de stabilisation de la prise en charge des besoins en SIG sur place.

Je tiens à réaffirmer qu’il s’agit d’un outil très utile que nous utilisons à plusieurs égards. Merci pour tout le travail accompli.

– Retour d’un chef de mission basé en Ukraine à propos d’une application développée lors de la première mission.

5- Avec le recul, qu’est-ce qui vous a paru le plus compliqué à gérer ? Comment pensez-vous que le travail réalisé pendant ces deux missions continue de soutenir les équipes de MSF sur le terrain ?

[Les deux]

Étant en contexte de crise, l’accès aux équipes projet était parfois très limité, ainsi que leur disponibilité, et nous avons dû faire avec. L’éclatement géographique des projets a également joué, puisque cela impliquait une logistique assez lourde (déplacements en voiture assez longs, etc.). Pour ces raisons, il nous paraît pertinent de repasser à un soutien SIG sous forme de binôme, en combinant notamment le volet « data » avec celui de la cartographie d’une manière plus resserrée – il est en effet assez difficile pour une seule personne de tout gérer tout en répondant au mieux aux besoins des terrains.

Nous n’avons pas rencontré de problème majeur de connectivité, malgré la situation. En revanche, nous avons pris conscience de l’importance d’une communication constante dans les contextes de crise, encore une fois dû au fait du turnover des équipes. Par ailleurs, il était important d’adapter notre discours en fonction de nos interlocuteurs, ces derniers ayant des niveaux de compréhension et de connaissance assez hétérogènes dans l’usage des outils SIG.

Sur une note plus personnelle, et comme n’importe quelle mission en contexte de crise, il a fallu gérer la distance, le rapport avec nos proches restés en France, et la fatigue accumulée dûe à l’intensité du rythme de travail.

Pour le reste, bien qu’il s’agit d’un contexte de guerre dont on ne peut se réjouir, ces deux missions ont été une expérience formatrice. Aller à la rencontre des équipes terrain facilite le dialogue et rend notre travail de soutien plus concret. La première mission a permis de véritablement poser les bases et de débuter un cycle de support et de communication intersection autour des produits SIG thématiques à prioriser – notamment sous la forme de cartes dynamiques accessibles à l’ensemble des OC et plus durables dans le temps. La deuxième mission a poursuivi et consolidé ce travail, en permettant également la mise à jour des outils pour refléter des besoins en perpétuelle évolution, propres au contexte très volatile des zones de conflit.

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